Plaidoyer pour la constitution d’espaces politiques d’un « nouveau genre »
Nous
assistons à un usage croissant du qualificatif de « citoyen ». A tort
et à travers. Dans plusieurs régions et en perspective des prochaines
élections, des listes « citoyennes » fleurissent.
Mais il faut faire la part des choses.
Certaines
sont d’authentiques initiatives citoyennes (avec Assemblées générales,
discussion du programme et désignation des candidats lors de ces
assemblées…).
D’autres
sont des opérations de « com » (en Rhône Alpes par exemple, ce sont des
tractations entre organisations politiques et absolument pas des
réunions ouvertes aux citoyens).
Des habillages donc.
Et
même de nouveaux partis comme la nouvelle gauche socialiste
(« frondeurs » issus du PS) se réclament d’une démarche citoyenne ! Mise
au point…
Plaidoyer pour un nouveau concept… pas si nouveau que cela
Voila
maintenant trente ans que je milite et j’ai « traversé » des
organisations variées. Des associations, des collectifs, un syndicat.
J’ai fait l’expérience de plusieurs organisations politiques (quatre en
tout). J’en ai vu de nombreuses autres de près (au cours de réunions
dites « inter-orgas », en manif, en assemblées, en débats, en
colloques….) et d’encore plus nombreuses d’un peu plus loin…
Pour ce qui concerne l’action politique
(le champ associatif et le champ syndical relèvent à mon sens d’autres
problématiques et j’y reviendrai peut-être dans d’autres articles), je
pense aujourd’hui que « nous » avons tous fait fausse route. « Nous », à
savoir tous les militant-es que j’ai pu croiser dans les groupes
politiques, organisations, partis, de nature «idéologique»…
Récemment,
j’ai définitivement abandonné le concept « d’organisation politique ».
Non pas pour devenir un « autonome spontanéiste », mais pour en défendre
un autre, finalement bien plus proche de mes convictions libertaires
d’origine.
Aujourd’hui,
les initiatives citoyennes – celles qui m’intéresse – prennent des
formes diverses. Ce sont des associations citoyennes (sans autre sigle),
des assemblées citoyennes, des cercles podemos, des associations
siglées « front de gauche » mais en rupture avec la logique du cartel de
partis, etc. Elles inscrivent leur action dans le temps, visent à la
pérennité et ne sont pas « montées », en principe, pour la seule
occasion d’une échéance électorale particulière …
Pour
moi, les démarches « d’alternative citoyenne », du moins telles que je
les vois naître sur le terrain et telles que j’en souhaite le
développement, relèvent d’un concept bien précis : les démarches
politiques citoyennes, ce sont les démarches qui mettent réellement le
citoyen au cœur des débats et des actions politiques. Autrement dit, qui priorisent toujours et systématiquement l’implication citoyenne...
Les démarches citoyennes nécessitent la création
d’espaces politiques d’un nouveau genre…
Pour lancer ce type d’initiatives, il faut impulser les espaces adéquats. Et ces espaces ne peuvent être des partis ou des organisations politiques telles que nous les connaissons.
C’est ce dont je vais essayer de vous convaincre !
De
mon point de vue, ces espaces doivent être simples, souples et
largement ouverts (c’est en tous cas ce que nous proposons et ce que
nous tentons de faire à Lyon). Bien entendu, un « cadre de valeurs » est
nécessaire (ce ne sont pas les citoyens supporters du gouvernement, des
Ripoublicains ou des FN qui nous intéressent !).
Ce
cadre de valeurs peut être aisément défini : ce sont les valeurs de
solidarité, de coopération, d’entraide et d’ouverture au monde, de
liberté et d’égalité, de respect de l’Humain et des écosystèmes, de
justice sociale et d’insoumission, d’esprit critique et d’émancipation !
Il n’est pas nécessaire, et ce serait paradoxal, de vouloir aller plus
loin.
Ces
espaces de mobilisation citoyenne, ce sont les participants qui vont
les construire avec leurs opinions, leurs idées, leurs réflexions, leurs
propositions.
Là
est la véritable citoyenneté : avec ce « citoyen » qui, solidaire,
généreux, ouvert d’esprit et curieux, cherche à prendre son destin en
main, à assumer sa souveraineté dans la gestion des affaires publiques.
Avec ce citoyen qui refuse de laisser une petite caste de politiciens
professionnels et de chefs d’entreprise décider pour le plus grand
nombre… Avec ce citoyen qui est un sujet politique actif, et qui, par
son implication, œuvre à l’avènement d’une démocratie réelle.
Là se situe la première différence fondamentale avec un parti ou une organisation politique.
Les
partis ou organisations politiques se caractérisent par le fait d’avoir
un cadre idéologique bien précis : une certaine grille de lecture du
monde, un corpus d’idées assemblées dans une certaine logique, un
ensemble de revendications bien ficelées…
Si
l’on veut que les citoyens se réapproprient l’objet politique, il ne
faut justement pas qu’il existe de trame idéologique pré-établie,
pré-formatée.
C’est
à cette condition que l’espace d’alternative citoyenne peut alors être
un vrai espace d’élaboration (de pensée et d’actions), en prenant en
compte et en brassant tous les « apports ». Sinon, on se retrouve dans
une organisation classique où le corpus d’orientation n’est modifiable
qu’à la marge (et encore) car défendu becs et ongles par les piliers
militants de l’Institution (vieilles figures ou jeunes apparatchiks en
herbe…).
Dans l’espace d’alternative citoyenne, tout doit rester, toujours, possible.
Cela
ne veut pas dire qu’aucune position ne doive et ne puisse être adoptée.
Mais, tout d’abord, c’est à l’unanimité ou au consensus le plus solide
possible, après des discussions de fond. Et ensuite, rien ne doit être gravé dans le marbre, et tout doit pouvoir être rediscuté.
Donc,
l’alternative citoyenne, pour « être », doit s’interdire (toujours de
mon point de vue) d’adopter des statuts fixant des orientations
politiques précises.
Ce
faisant, le seul accord qui doit être pérenne et inscrit comme une base
inaliénable, fondatrice, doit être le cadre de référence aux valeurs et à la méthode, telle que décrite précédemment.
Ensuite,
on peut avoir toutes les discussions possibles et imaginables ! On peut
confronter toutes nos idées, on peut échanger sur de multiples sujets,
on peut « s’empailler » (respectueusement) et avec toujours (on
l’espère) de nouvelles personnes apportant leur pierre à la construction
de ce nouveau type de mouvement politique…
Enfin,
autre caractéristique qui fait la différence nette avec un parti ou une
organisation politique c’est que ces derniers ne cherchent à réunir que
des personnes (des « sympathisants », puis des « adhérents », puis des
« militant-es ») en accord avec la ligne de ce qui est devenu une
véritable institution.
Par nature, l’organisation politico-idéologique n’invite pas à discuter, elle recrute. Elle ne cherche pas à s’altérer, elle cherche à nous convaincre d’adhérer pour se perpétuer.
Il
n’y a aucune « porosité » du parti ou de l’organisation politique qui
permette des entrées constantes de personnes aux avis différents.
Ce
faisant, chaque organisation (même si elle proclame, à ses débuts,
qu’elle va « faire de la politique autrement ») finit par générer un
solide entre-soi. C’est le résultat logique induit par sa logique
centripète et fusionnelle ou encore sa logique de « clivage » entre le
groupe et le hors-groupe.
« Victime »
plus ou moins volontaire de cet entre-soi solide et imperméable,
l’organisation ou le parti s’étiole, se sclérose et se coupe finalement
des citoyens (qu’il nomme alors « la base », le peuple, les gens…).
Voila pourquoi, ce concept d’espace citoyen que nous essayons de porter, est novateur.
Quitte à me répéter, le cadre est simple, souple, minimaliste, poreux. C’est un cadre épuré de valeurs fortes. Le reste, tout le reste,
c’est-à-dire toutes les questions de fond, de stratégies, de réformes,
de pratiques, de fonctionnement, de démocratie, d’économie, de société….
sont abordées dans les débat auto-organisés par les actrices et acteurs
de ces espaces.
Mais quid de la question des élections ?
Ceci
dit, on ne peut avoir pour objectif de s’en tenir à un espace de pure
réflexion et de débats sans « suites ». De même, il ne peut être
judicieux d’entamer des actions sans offrir, sans s’offrir des débouchés
politiques. Mais si des regroupements citoyens décident de participer
aux élections, à différents niveaux, cela ne fait-il pas d’eux des
« partis politiques » ?
Il est important de se poser cette question et de tenter d’y apporter des réponses claires.
Je
pense que les associations, collectifs, cercles citoyens etc. (bref,
l’ensemble des ces regroupements qui pourraient constituer un vaste
mouvement d’Alternative citoyenne) ne doivent rien s’interdire…. Mais pas n’importe comment !
Qu’est-ce à dire ?
Nous
sommes déjà un certain nombre à oeuvrer pour que des regroupements
citoyens agissent politiquement dans leur localité, et mieux, se
fédèrent nationalement pour créer une nouvelle force politique dans ce
pays. Dans notre « utopie réaliste », la « confrontation » à la
problématique électorale est, nous le savons, incontournable.
Néanmoins je prends la liberté d’émettre un vœu, voire une forte recommandation !
Cette
décision (de présenter ou de soutenir des candidats) est – par
définition – intégralement à la main des assemblées citoyennes. Logique.
Mais c’est à ce moment qu’un choix décisif est ou sera à faire.
Premier
cas de figure : on se vautre de nouveau dans la démocratie
représentative. En désignant des candidats chargés de nous représenter
sans autre forme de précautions.
Second
cas de figure : cette décision est précédée d’un sérieux débat sur la
question du pouvoir, de la démocratie, de la démocratie participative, du
mandat de l’élu-e, du rôle et des prérogatives desdits élus, du
contrôle des mandaté-es en cours d’exercice, des procédures de
révocations, des modalités de reddition des comptes (rapport financier
détaillé)…
Dans
le premier cas, le mouvement des associations citoyennes, collectifs
citoyens, cercles podemos, etc se muterait de facto en « parti »
classique.
Dans
le second cas, nous aurions bien un mouvement citoyen qui travaillerait
à rénover en profondeur la façon même de faire de la politique, qui se
distinguerait fondamentalement des partis chasseurs de places et de
sièges, et qui inventerait un au-delà de la démocratie représentative..
Changer les pratiques pour refonder notre rapport au « pouvoir »…
Je
ne l’avais pas développé précédemment, mais une autre différence
essentielle entre un mouvement d’alternative citoyenne et un parti est
selon moi le changement radical d’optique vis-à-vis du « pouvoir », un
changement substantiel de perspective en rupture avec la conception
classique de la conquête de l’Etat et des collectivités
territoriales)..,
Le
but, par définition, des partis politiques, c’est de conquérir le
pouvoir et d’administrer les citoyens. En cela, les citoyens abdiquent de leur souveraineté à chaque élection !
Notre but n’est pas celui-là. Notre but c’est que le peuple exerce le pouvoir, dans le cadre d’une démocratie refondée et réelle.
Bien
entendu, la délégation, le mandatement est incontournable. On ne peut
imaginer que nous pourrions gérer les affaires de la Cité (définition de
la politique) au cours d’assemblées générales permanentes.
Mais l’objectif est double :
-
d’une part, que les mandatés soient étroitement sous contrôle de leurs mandants (les citoyen-ne-s)
-
d’autre part que les mandaté-es en question retrouvent un authentique rôle d’exécutif :
à savoir exécuter (réaliser) la feuille de route (les résolutions)
débattues et adoptées par le plus grand nombre possible de citoyen-ne-s.
En résumé sur ce point :
-
C’est aux alternatives citoyennes, dans leurs assemblées ouvertes, de décider quand et comment, dans quelles conditions elles pourraient être amenées à présenter des candidat-es à des élections.
-
Cette action se ferait dans l’option d’une transformation démocratique profonde
de nos institutions (Sixième République ?), visant à impliquer toujours
les citoyens dans la définition des objectifs politiques et des
« feuilles de route » des mandaté-es élu-es.
-
L’objectif n’est pas de d’abandonner le pouvoir à des élu-es,
mais, en mettant en place des dispositifs innovants, de permettre
l’exercice du « pouvoir » direct du peuple (pratiques référendaires,
organisations de vrais débats publics, appels à des citoyens pour
expertiser une question, révocabilité du mandaté ne respectant pas son
mandat…)
Par
conséquent et dans cette optique, on voit bien combien il serait
inutile, confusionnant, et contre-productif de conserver le vocable
« parti » ou même celui « d’organisation politique », vu le spectacle
que ces « institutions » ont donné à voir jusqu’à aujourd’hui…
Il nous reste encore une question à traiter.
C’est
celle du rapport (ou du non rapport) entre un authentique mouvement
politique citoyen et les organisations et partis politiques…
Quid des rapports et relations à entretenir avec les forces politiques ?
Je
pense qu’il est utile de préciser et de réaffirmer en permanence le
caractère totalement autonome des « Alternatives citoyennes » vis-à-vis
des partis et organisations politiques.
C’est bien entendu aux assemblées d’en décider (mais c’est néanmoins la position que j’y défendrai!).
J’irai
même plus loin en défendant une absence de rapports tout court avec les
appareils (je ne parle pas des militantes et militants mais des
machineries politico- électorales!).
Vu
la pagaille que ces appareils sont capables de générer (y compris en
semant la zizanie au sein des regroupements citoyens), un cordon
sanitaire serait certainement très salutaire. Du moins pour une période
(le temps de lancer et consolider nos initiatives. Ensuite, cette
méfiance exprimée clairement pourrait avoir un effet : celui de
déclencher une véritable série d’interrogations et de remises en cause
au sein des organisations et partis en questions (si cela s’avère encore
possible…)
Mais
aujourd’hui, j’affirme, je persiste et je signe : les organisations et
les partis, dans leur état actuel et leurs modes de fonctionnements,
sont des « objets toxiques » qui n’apporteront rien de bon aux
dynamiques citoyennes.
Je
le redis, il en va autrement de nombreux et nombreuses militant-es
(dont les expériences et les savoirs faire peuvent considérablement
enrichir les réflexions et faciliter les actions…). A compter qu’ils
soient capables de modifier leurs pratiques et leurs approches.
Qu’attendons-nous ?
Cet article est ENCORE un appel à la constitution d’un vaste mouvement d’alternative citoyenne, avec :
-
des
espaces citoyens libres et autonomes, largement ouverts à tous ceux et
toutes celles qui se réfèrent à des valeurs humanistes, de gauche ou
libertaires.
-
Des
espaces constitués à leur guise sous forme de cercles, d’association,
de collectifs, … et qui se fédèrent entre eux privilégiant les modes de
communication horizontaux et en réseaux.
-
Un mouvement qui renouvelle réellement notre rapport au « politique », par des idées novatrices et des pratiques innovantes,
-
un
mouvement fédéraliste, vigilant sur les inévitables dérives de prises
de pouvoir (mais des « dérives » qui peuvent être contrées à partir du
moment où un débat permanent a lieu entre nous…).
-
Un
mouvement qui porte un nouveau projet de société, avec la refonte de
nos institutions politiques pour une démocratie authentiquement
citoyenne, une refondation de notre système économique pour remettre
l’économie au service de l’Humain, une exigence permanente d’égalité, de
liberté et d’émancipation !
Partout, agissons pour créer ces nouveaux espaces dont nous avons tant besoin.
Échangeons les informations, mutualisons les outils, faisons connaître nos expériences de pratiques…
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Régis Lenoir